Depuis maintenant plusieurs mois, la crise sanitaire du COVID-19 se traduit par une crise économique qui touche tous les secteurs d’activités. Dans l’aviation entre faillites et licenciements, des milliers salariés se retrouvent sans travail. Le marché est tout d’un coup saturé et il est très difficile pour les jeunes pilotes, fraîchement diplômés, de trouver un emploi.
Là où pour des métiers “traditionnels” on peut plus ou moins se permettre d’attendre de meilleurs jours, la situation des jeunes pilotes est plus urgente. Afin que ces derniers conservent leurs qualifications, ils doivent continuer à voler tous les mois, très régulièrement . En parallèle ils doivent aussi pour la plupart rembourser le prêt qu’ils ont contracté pour financer leurs études dont le prix peut s’élever jusqu’à 120 000€.
De l’autre côté les compagnies aériennes reconnues reçoivent beaucoup trop de candidats ce qui a pour conséquence un durcissement des critères de recrutement à tel point qu’il n’y a pas possibilité, pour un jeune pilote, de postuler à ces offres d’emplois. Alors pour garder leurs qualifications et rembourser leur formation, certains d’entre eux vont avoir recours à une pratique particulière: le Pay-To-Fly.
En quoi consiste le Pay-To-Fly ?
Pourquoi sommes-nous tous concernés par cette pratique aujourd’hui ?
Je vais répondre à ces questions dans cet article d’Aviactualité.
Définition
Comme toujours dans des contextes de crise, là où certains voient une injustice, d’autres voient des opportunités financières. Et c’est là qu’apparaît le Pay-To-Fly!
Le concept est simple comme bonjour: payer pour voler. Le P2F, souvent présenté sous l’acronyme P2F, consiste à faire payer des jeunes pilotes pour un forfait d’heures de vol qui leur permettra d’acquérir l’expérience nécessaire pour pouvoir entrer dans une compagnie aérienne reconnue.
Le fonctionnement du Pay-To-Fly est le suivant: à l’origine vous avez des agences d’intérim (comme EagleJet, AtransAviation, Baltic Aviation Academy pour ne citer que les plus connues d’entre-elles) que l’on appelle “broker“. Les brokers négocient en fait des contrats de blocs de 300 à 500 heures de vol pour un pilote, avec des compagnies aériennes. Ces brokers se chargent ensuite de trouver des pilotes intéressés à qui ils vendent ces contrats moyennant des sommes pouvant aller jusqu’à 85 000 €.

Parmi les compagnies aériennes qui pratiquent le Pay-To-Fly, il y a des noms qui reviennent bien trop souvent comme ceux de Tunisair, de la Royal Air Maroc, de Vietnam Airlines ou même d’Air Baltic.
En fait il est très difficile de définir le Pay-To-Fly car il peut prendre plusieurs formes. Certaines compagnies vont juste demander au jeune pilote de financer la Qualification de Type (qui permet de piloter un type d’avion spécifique); alors que d’autres compagnies vont vendre un bloc d’heures et ne même pas rémunérer les pilotes contractants.
Vous en avez aussi qui ne vont pas embaucher de pilotes mais établir des partenariats avec ces-derniers qui se retrouvent donc sous le statut d’auto-entrepreneur. Un peu comme les coursiers Uber. Les pilotes doivent donc financer eux-même leur couverture sociale. Les pratiques sont très différentes et il revient à chacun de juger si elles sont correctes ou pas.
Les dangers du Pay-To-Fly
Là où nous sommes en tant que passagers directement concernés c’est lorsque ces pratiques sont poussées à l’extrême car elles portent atteinte à la sécurité des vols.
Comme vous pouvez l’imaginer il y a avec le Pay-To-Fly un rapport de force très dangereux. Effectivement on a des pilotes qui sont sous la pression de maintenir leurs qualifications et de rembourser leurs dettes. Ces derniers ont donc plus besoin des compagnies aériennes que les compagnies aériennes n’ont besoin d’eux.
Celles-ci peuvent donc en profiter pour non seulement faire des économies (car je vous rappelle qu’elles gagnent de l’argent avec le Pay-To-Fly), mais également pour exploiter ces personnels navigants.
Comment le font-elles? C’est très simple:
- En les faisant travailler toujours aux limites de ce qu’autorise la réglementation aérienne.
- En ne leur offrant souvent pas de contrat de travail, ce qui permet de ne pas payer de charges sociales et de diviser le coût salarial par deux.
- Tout cela alors qu’ils feront le même travail que tout autre pilote sous un contrat normal. Il y a donc la pression du métier avec les responsabilités qu’il implique qui vient s’ajouter ici.
Par ailleurs vu le coût du Pay-To-Fly, qui peut monter jusqu’à 85 000 € certains pilotes vont encore plus s’endetter pour pouvoir se le financer.
En plus de cela beaucoup des compagnies qui pratiquent le Pay-To-Fly sont des compagnies régionales. Or une étude de l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne, l’EASA, datant de 2019, révèle que ce sont sur les opérations de vols régionaux que les équipages sont les plus sujets à la fatigue.
On a donc des pilotes surendettés, qui travaillent aux limites du temps autorisé, donc certainement plus fatigués que la moyenne, et sous pression. On peut alors imaginer que leur état psychologique est très dégradé. C’est là une parfaite équation pour créer des accidents aériens.
En 2009, un avion de Colgan Air, une compagnie Nord-Américaine, s’est écrasé pendant son approche sur l’aéroport de Buffalo, New York à cause de pilotes qui étaient exténués et qui n’ont pas vu la vitesse de l’avion diminuer, causant un décrochage qui n’a pas été récupéré.
Quatre ans plus tard, en 2013, un A321 d’Air Hermès (une filiale d’Air Méditerranée) est sorti de piste lors de son atterrissage à Lyon. Dans son rapport final, le BEA remet en cause un co-pilote qui manquait d’expérience et de connaissances sur son avion. Même si cela n’a jamais été officiellement corroboré, le Syndicat National des Pilotes de Ligne a pointé ici un pilote sous contrat de Pay To Fly.
Reconstitution du crash du vol Colgan Air 3407 en 2009 par le NTSB. Vidéo: NTSB.

En fait lorsqu’un jeune pilote est intégré dans une compagnie aérienne, il est normalement suivi pendant ses premières heures en Ligne par un Commandant de Bord Instructeur en charge de le former aux spécificités de l’avion et de la compagnie. Dans le système du Pay-To-Fly, cette étape, essentielle à l’intégration de tout nouveau personnel navigant, n’existe pas. A cela ajoutez le fait que les les compagnies aériennes qui pratiquent le Pay-To-Fly ne réalisent pas de tests d’entrée pour vérifier le niveau de connaissance des aspirants pilotes; et je pense que l’on a ici assez d’arguments pour justifier que le Pay-To-Fly est une pratique dangereuse pour la sécurité des vols. C’est en cela qu’il nous concerne tous en tant que passagers.
Quelles mesures ?
Le Pay To Fly est illégal en France mais autorisé dans d’autres pays d’Europe et du Monde. En fait si il est permis ailleurs c’est qu’il y a ici une notion importante de liberté contractuelle: personne n’oblige ces jeunes pilotes à signer ces contrats.
Au-delà du fait qu’on peut facilement débattre de la moralité de ce genre de pratique, ce qui prime selon moi sur leur légalité, la meilleure façon d’interdire le Pay-To-Fly, à l’heure actuelle, est de prouver qu’il porte atteinte à la sécurité des vols. Or pour l’EASA, cela ne semble pas être le cas.
Si jusqu’à aujourd’hui il n’y a eu en Europe que des accidents mineurs c’est parce que le Pay-To-Fly revient de façon périodique, à chaque fois qu’il y a une crise et que le marché de l’emploi se retrouve saturé. L’année 2020 marque donc l’entrée dans une période de ce type. Je pense alors qu’il faut au plus vite interdire le Pay-To-Fly avant que de regrettables catastrophes n’arrivent.
Les USA ont bien pris toute la mesure de limiter les excès du Pay-To-Fly. Depuis le crash du Colgan Air, les équipages n’ont plus le droit d’être aux commandes d’un avion pendant plus de 8 heures d’affilée. En Europe cette limite est fixée à 11 heures.
Que peut-on faire ?
En tant que passagers, il n’y a malheureusement pas grand chose que nous pouvons faire si ce n’est que de signer cette pétition du SNPL afin que soit présentée devant la commission européenne une loi interdisant la pratique du Pay-To-Fly.
Nous pouvons également éviter de prendre les compagnies aériennes qui ont recours à cette pratique. Je ne ferai ici aucune recommandation particulière. La pratique du P2F peut prendre tellement de formes différentes qu’il faut pour moi faire au cas par cas selon notre appréciation personnelle.
Je vous redirige donc vers la page Wikipédia rédigé par la chaîne CockpitSeeker qui reporte tous les cas de Pay-To-Fly, contrats à l’appui, constatés ces dernières années. Je vous laisse juger de vous-même.
Sources
Pétition pour l’interdiction du Pay-To-Fly
EagleJet International
Etude de l’EASA
La chaîne YouTube CockpitSeeker
Liste de compagnies aériennes pratiquant le Pay-To-Fly
Page Wikipédia rédigée par CockpitSeeker
Reportages intéressants sur le Pay-To-Fly
RTS – Temps présent (2013/2014)
France 2 – Complément d’enquête (2014)
France 2 – L’oeil du 20h (2015)
France 3 – Pièces à convictions (2016)
Restrictions temps de travail des équipages
Réglemenation Européenne EASA (p490)
SNPL France Alpha