Le 09 Juin 2020, Mr Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, a dévoilé le plan de soutien de l’Etat à l’industrie aéronautique française. Décomposé en 3 axes majeurs, ce plan vise à relancer une industrie fortement touchée par la crise sanitaire du COVID-19 grâce à un investissement de 15 milliards €.
Plan nécessaire ou pas?
D’un montant trop élevé ou trop faible?
Que peut-on en attendre ?
Je vais essayer de répondre à ces questions dans l’épisode du jour.
1- La necessité d'un plan de soutien
Avant tout intéressons nous à l’impact de la crise sanitaire sur l’industrie aéronautique française.
L’industrie aéronautique en France ce sont 1 300 entreprises de toutes tailles et 300 000 emplois directs et indirects (47 000 rien que chez Airbus). L’aviation – avec un trafic aérien diminué de 90%, des faillites, des milliers de licenciements et une perte sèche du secteur estimée à $84 milliards pour l’année 2020 par l’IATA – a été et est encore sans nul doute l’un des secteurs d’activités les plus impactés par cette crise.
Chez Airbus par exemple 66 commandes ont été annulées depuis le début de l’année. Et puis il n’y a pas eu de nouvelle commande pendant le mois de mai. Cela porte le nombre de commandes nettes pour l’année 2020 à 299 unités. Aussi, toujours pendant le mois de mai, Airbus n’a livré que 24 avions contre 81 à la même période l’an dernier.
Chez Boeing la situation ne s’est pas améliorée depuis le point que j’avais réalisé à la fin du mois d’Avril. 9 nouvelles commandes, 18 annulations et 4 livraisons. C’est tout. Le pire, c’est que les commandes et livraisons ne concernent que des avions de transport de marchandises; tandis que les annulations ne concernent que des avions de transport de passagers.
Enfin, il semble que la situation ne va pas vraiment s’améliorer dans les mois à venir. Air France par exemple vise à recouvrer tout juste 40% de sa capacité opérationnelle d’ici au mois d’août.
L’industrie est donc dans une très mauvaise passe. Avec cette baisse d’activité, 100 000 emplois hautement qualifiés sont menacés en France. Il est alors clair qu’un soutien à l’industrie s’impose afin d’éviter une crise sociale.

2- Le plan de soutien
Le gouvernement français a bien pris toute la mesure de la nécessité d’un plan de soutien pour le secteur. Il en a donc développé un avec les principaux industriels Français de l’aérien. Ce plan a été révélé le 9 juin 2020.
Ce plan de soutien se décompose en trois axes majeurs:
- Sauver les emplois
- Par des garanties à l’export pour les compagnies aériennes. Cela représente un investissement d’1,5 milliards € pour l’Etat.
- Par l’extension du délai de paiement d’un avion neuf pour les compagnies aériennes. Ce-dernier passe à 12 mois (au lieu de 6 mois actuellement). Cela représente un investissement de 2 milliards € pour l’Etat.
- Par l’anticipation des commandes d’aéronefs pour les services publics français (Sécurité Civile, Gendarmerie et Armées). Cela représente un investissement de 800 millions € pour l’Etat.
- Par la mise en place d’activités partielles.
- Transformer les PME du secteur
- Par un fond d’investissement dont les contributeurs seront:
- L’Etat à hauteur de 200 millions €;
- Les 4 grandes entreprises aéronautiques françaises: Airbus, Dassault, Safran et Thalès à hauteur de 200 millions €;
- Ainsi que le gestionnaire du fond (qui sera choisi à la suite d’un appel d’offre) à hauteur de 100 millions €. Ce fond d’investissement devrait permettre d’éviter un rachat des PME nationales par des entreprises chinoises.
- Et par un fond d’accompagnement pour aider à la numérisation et à la robotisation des PME. En effet la France a un retard à rattraper par rapport à certains de ses voisins dans ce domaine. L’Etat contribuera à ce fond d’accompagnement à hauteur de 500 millions €.
- Par un fond d’investissement dont les contributeurs seront:
- Décarboner l’industrie
- En accordant au CORAC (le Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile) 1,5 Milliards € sur 3 ans; dans le but de développer un avion neutre en carbone d’ici à 2035 grâce à l’hydrogène et aux moteurs à fort taux de dilution. Le CORAC, composé des principaux acteurs de l’industrie (Airbus, Air France, la DGAC et l’ONERA ainsi que des ministères concernés: Ministère de l’Economie, des transports etc) constitue un lieu d’échange entre l’Etat et l’industrie aéronautique en matière de recherche et d’innovation dans le secteur.

L’ensemble de ces objectifs représente au total un investissement d’un peu plus de 7 milliards €. En y ajoutant le soutien financer d’un montant de 7 milliards € pour Air France, on obtient donc un plan de soutien pour l’industrie qui représente 15 milliards € d’investissements, principalement dirigé et financé par l’Etat Français.
3- Un plan qui sera efficace ?
On peut maintenant se concentrer sur la possible efficacité de ce plan de soutien.
La partie la plus intéressante selon moi concerne les nouveaux délais de paiement accordés aux compagnies aériennes et l’anticipation des commandes pour les services publics. Effectivement cela permettra d’abord d’aider les compagnies aériennes à ne pas annuler leurs commandes d’avions; En conséquence Airbus devrait pouvoir continuer à produire des avions à une cadence qui devrait éviter trop de licenciements.
Pour les PME, je trouve que ce plan est très approprié. Les aider à numériser et robotiser leurs opérations leur permettra de mieux contrôler leurs coûts et leur niveau de service.
En plus les géants Airbus, Dassault, Safran et Thalès contribueront à hauteur de 200 millions € au fond d’investissement. Si ce sont ces géants qui font les gros titres dans les journaux, c’est quand même grâce à de plus petites entreprises qu’ils existent et prospèrent. Rien que pour Airbus par exemple, il faut un livret de près de 400 pages pour lister la quasi-totalité de ses fournisseurs. Ces fournisseurs sont de toutes tailles et ne disposent parfois pas de la stabilité financière dont peut disposer à contrario le constructeur d’avions européen.
Enfin le soutien financier apporté au CORAC avec l’objectif qui lui a été fixé constituent selon moi le plus d’incertitudes et de débats.
Le montant d’1,5 milliards € accordé au CORAC me paraît très raisonnable (quand on sait que l’ONERA compose avec un budget de 236 millions € ou que le développement du Solar Impulse a coûté au total 170 millions €) à la condition que cet argent soit bien utilisé. L’objectif de développer un avion neutre en carbone d’ici à 2035 reste quand même très ambitieux. Même si le CORAC existe depuis 2008, ses membres semblaient, jusqu’à maintenant, s’orienter vers des pistes de recherche très différentes.
Par exemple là où l’ONERA s’intéresse à un petit avion 100% électrique utilisant la propulsion électrique distribuée avec les projets AMPERE et DRAGON, Airbus semblait plus concentrer ses efforts sur un démonstrateur d’avion commercial hybride avec le défunt projet E-Fan X. Mais en l’état actuel des choses, il est fort probable que les efforts se concentreront sur une piste particulière: l’utilisation de l’hydrogène et des moteurs à fort taux de dilution, comme déclaré par Mr Bruno Le Maire. On en saura certainement plus dans les mois à venir. Si ce sujet vous intéresse je vous redirige vers l’épisode 5 d’Aviactualité.


Mais globalement la plupart des parties concernées se sont montrées enthousiasmées et ont largement bien reçu ces annonces.
Conclusion
En conclusion on peut dire que ce plan de soutien à l’industrie aéronautique française est indéniablement nécessaire. Par ailleurs au-delà du risque social posé par la crise il y a aussi le risque de perdre un savoir-faire. En effet peu de pays dans le monde peuvent se vanter d’avoir une industrie aéronautique performante et fonctionnelle.
Ce plan de soutien s’élève à 15 milliards € au total. Je dirai malgré tout que “seuls 7 milliards €” sont réellement apportés à l’industrie dans sa globalité et pas seulement à Air France. Les parties prenantes ont plutôt bien accueilli l’annonce de ce plan. Cependant le Syndicat des Compagnie AéRiennes Autonomes, qui regroupe 50% des compagnies aériennes françaises, déplore que la plupart des efforts du gouvernement se soient concentrés sur Air France.
Ce plan de soutien reste bien sûr d’un montant très inférieur aux $50 milliards investis par les Etats-Unis pour les compagnies aériennes américaines. Mais les proportions et les perspectives géographiques et économiques sont différentes.
Ce qui sera intéressant selon moi sera la réaction de Boeing ou la réaction Nord Américaine plus généralement. En effet l’Europe et les USA se sont toujours historiquement disputés sur la façon de soutenir leur industrie aéronautique respective. Là où l’Europe a toujours ouvertement soutenu financièrement Airbus, les USA eux signent en général des contrats d’exclusivité avec Boeing. Boeing qui a d’ailleurs, même en ces temps difficiles, refusé toute aide de l’Etat américain.
Ciblé et réalisé avec les principaux acteurs du secteurs, ce plan devrait donc, en principe, être efficace. Concernant le montant de ce plan il a globalement satisfait les parties prenantes. Selon moi, il est suffisant mais n’accorde qu’un répit de courte durée à l’industrie. Il faudra que cette dernière se rattrape et se consolide au cours des 12 prochains mois. Tout cela bien sûr dans l’hypothèse où l’on continue à suivre la tendance actuelle. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas de seconde vague de coronavirus. Affaire à suivre…
Sources
Airbus
Air France
Prévisions de l’évolution des capacités
Budgets & coûts de développement
Coût de développement du programme Solar Impulse
Boeing
Boeing refuse l’aide de la FED
Chiffres sur l’industries
CORAC
Disputes Europe/US sur le financement de leur industrie aéronautique respective
Duels: AIRBUS BOEING, l’étoffe des égos
Eurocontrol
Statistiques et prévisions du trafic aérien pour 2020
IATA
Performance économique du secteur pour 2020
Plan de soutien à l’industrie aéronautique française
Présentation du Mardi 09 Juin 2020
Plan de soutien à l’industrie aéronautique des Etats-Unis
$50Md pour les compagnies aériennes américaines
Parties prenantes
Réactions des parties prenantes à l’annonce du plan de soutien
Syndicat des Compagnie AéRiennes Autonomes (SCARA)