Bonjour à toutes et à tous j’espère que vous vous portez bien ! Bienvenue sur le sixième épisode d’Aviactualité, l’émission où on parle des news de l’aviation. C’est Pierre et je suis content de vous retrouver pour ce nouvel épisode ! Aujourd’hui nous allons parler de la version cargo de l’A380.
Le 5 mai 2020 Lufthansa Technik, la filiale de maintenance de la compagnie aérienne allemande Lufthansa, a annoncé qu’elle reconvertirait temporairement les A380 de cette dernière en avions cargos. Cette décision vise à répondre à la demande mondiale en équipement médical et autres fournitures essentielles.
L’A380 c’est le plus gros avion de transport de passagers au monde. Grâce à ses deux ponts, il est capable d’accueillir jusqu’à 800 personnes à son bord. Destiné à un marché encore trop peu développé, l’A380 a été un échec commercial pour Airbus le constructeur de l’appareil. Pour la dizaine de compagnies aériennes qui ont investi dans cet avion, la plupart cherchent plutôt aujourd’hui à s’en débarrasser.
Mais pourquoi un tel géant des airs n’a-t-il jamais eu le droit à une version cargo ?
Même le plus petit des avions commerciaux de Boeing, le 737 a eu droit à une version de transport de fret. On pourrait se dire qu’avec un fuselage aussi volumineux, l’A380 devrait forcément avoir une place dans l’aviation cargo. Qu’en est-il vraiment ? C’est la question de l’épisode d’aujourd’hui.
1- Une idée ancienne
En fait l’idée d’un A380F (pour “Freighter” ou “cargo” en français) remonte à bien avant la crise du COVID-19. Effectivement Airbus prévoyait en 2002 une version cargo de son super jumbo qui serait entrée en service en 2008. L’A380F avait reçu pas moins de 25 commandes fermes pour le compte des entreprises entreprises FedEx, ILFC (une société de leasing qui a disparu en 2014) et UPS. Mais en 2006 FedEx annule ses commandes à cause des reports des dates de livraison par Airbus. ILFC quant à elle reconvertit ses commandes cargo en version passagers. Un an plus tard UPS annule également ses commandes préférant opter pour des 767. Une annulation, due encore une fois, aux reports des dates de livraison par l’avionneur Européen.


Lors du lancement du programme A380F, Airbus avait estimé le marché à 404 appareils. Non seulement l’avion n’a-t-il pas rencontré ce succès avec seulement 25 commandes fermes mais en plus toutes ces commandes ont été annulées. La crise qui suivie en 2008, a achevé les espoirs d’Airbus de concevoir un A380 cargo; scellant au passage le destin du gros-porteur.
2- Performances & Avantages
Cela ne nous empêche pas de nous demander ce que pourrait concrètement apporter un A380F.
Un A380F pourrait transporter une charge utile de 150t; un volume maximal de 1 134m3; sur une distance pouvant aller jusqu’à 10 000 kms. Afin de remettre ces caractéristiques en perspective, j’ai créé un tableau. Ce tableau compare les performances des principaux gros-porteurs cargos civils actuellement en service, à celles d’un A380F.

On voit donc que l’A380F pourrait s’imposer comme un intermédiaire entre les 747-8F/AN-124 et l’AN-225, le plus gros avion du monde. Sachant qu’il n’y a qu’un seul AN-225 dans le monde, un A380 cargo serait alors théoriquement le dominant de la catégorie des avions de transport de fret. On verra plus tard que ce n’est pas vraiment le cas.
Selon moi le principal avantage d’un A380 cargo serait d’apporter une indépendance aux pays comme la France où l’Etat est actionnaire d’une compagnie aérienne vis-à-vis des super transporteurs Antonov quant au transport de grosses quantités de marchandises. Par exemple pendant le confinement, la France a fait appel à la Russie et à Antonov Airlines afin d’acheminer des masques en AN-124 et en AN-225. Des acheminements qui, on le sait, ont été sujets à quelques incidents commerciaux (je pense ici au quasi-détournement de masques initialement achetés par la France qui ont finalement atterri aux Etats-Unis). Avec un A380F chez Air France par exemple le gouvernement n’aurait pas eu besoin de faire appel à ces parties extérieures et on aurait pu éviter ces scandales commerciaux.
De façon générale un A380F permettrait à des compagnies privées comme FedEx ou UPS de transporter de grandes quantités de marchandises sur de longues distances.
3- Limitations
Cependant quand on creuse un peu le sujet on se rend vite compte qu’un A380 cargo serait loin d’être aussi efficace que ce que l’on pourrait penser et ce à cause de 2 limitations principales:
- On a d’abord la structure de l’avion. En effet le cockpit est situé à mi-chemin entre les deux ponts. Cela ne permettrait pas à l’A380F de disposer d’une porte de nez (dont disposent par ailleurs le 747-8F et l’Antonov-124). Les marchandises ne pourraient alors rentrer que par les portes cargos latérales. Cela limiterait grandement le volume de marchandises qui peut être monté à bord. L’avion serait donc moins avantageux que ses concurrents puisqu’il il ne permettrait que d’accueillir du fret de petit/moyen volume.

- La deuxième limitation concerne le design des aéroports. L’A380 est un très gros avion. Il est à la limite des dimensions maximales acceptées par les organisations aériennes pour une utilisation à grande échelle. Donc avant de recevoir un A380, un aéroport doit préalablement s’équiper. Cela demande souvent de renforcer le pavement des pistes et taxiways. L’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) a donc classé les aéroports. Ce classement permet de déterminer les aéroports qui peuvent ou qui ne peuvent pas accueillir l’A380. Ainsi ce dernier ne peut se poser que sur les aéroports de classe F (environ un peu plus de 140 aéroports dans le monde). Le 747-8F qui serait alors le concurrent direct d’un A380F, ne peut également atterrir que sur des aéroports de classe F. Mais Boeing a travaillé avec ceux d’entre eux capables d’accueillir le 747-400 plus petit que le -8F. Ces-derniers ont pu alors s’équiper pour accueillir le -8F sans avoir à passer en catégorie F. Dans ce contexte un A380 cargo se retrouverait donc avec un gros désavantage commercial.

Conclusion
En conclusion on peut dire qu’un A380F n’aurait pas vraiment de place sur le marché du transport de marchandises. Même avec de meilleures performances théoriques que ses concurrents directs, l’avion se trouverait confronté à des limitations structurelles et aéroportuaires. Cela le rendrait peu efficace à côté des avions cargos actuels. Par contre dans des situations particulières comme celle de la crise du COVID-19, dans laquelle on cherche à transporter de grosses quantités de marchandises de petit volume comme des masques ou des gants, un A380 cargo ferait parfaitement sens. D’où la volonté de Lufthansa Technik de modifier temporairement et non pas définitivement les A380 de Lufthansa.
Sources
Airbus
Nombre d’aéroports accessibles à l’A380
Antonov Airlines
Performances des avions Antonov
Boeing
Aéroports accessibles au 747-8
Cargolux
Flightglobal
Conversion des A380 de Lufthansa en avions cargos
New York Times
Annulation des commandes d’UPS
Site Aerospace Technology
Site Flexport
Site skybrary.aero