Aviactualité #2 – Vers la fin des quadriréacteurs?

Bonjour à toutes et à tous j’espère que vous vous portez bien ! Bienvenue sur le second épisode d’Aviactualité, l’émission où on parle des news de l’aviation.
Aujourd’hui nous allons parler de la mise à la retraite anticipée des 747-400 de KLM et Qantas et de pourquoi les compagnies aériennes se séparent de leurs quadriréacteurs. 

Contexte

Le Dimanche 29 Mars 2020, les compagnies aériennes Qantas et KLM ont opéré le dernier vol d’un Boeing 747 au sein de leur flotte ! Un évènement fort en émotion pour de nombreux fans de cet avion de légende puisque ces deux départs à la retraite n’étaient pas sensé arrivés aussi tôt. En effet Qantas avait prévu de retirer le Jumbo Jet de sa flotte d’ici la fin de l’année tandis que KLM prévoyait un départ à la retraite pour l’année prochaine.
Juste avant son dernier atterrissage, le 747 de Qantas a effectué un passage au-dessus de la baie de Sydney afin de dire au revoir à la compagnie Australienne qui aura fait voler le Boeing 747 pendant près d’un demi-siècle.
Ces derniers temps on assiste à de nombreux départs d’avions dans les compagnies aériennes tout autour du globe.
Le 24 Mars 2020 c’était Virgin Atlantic qui procédait à la sortie de service de ses Airbus A340-600. Et un mois plus tôt, on assistait au premier départ d’un A380 de la flotte d’Air France.

 

Quel est le point commun entre chacune de ces fin de service ? Eh bien toutes ont été avancées par rapport à la date initialement prévue et concernent des avions équipés de 4 moteurs.

Qu’ont donc les compagnies aériennes contre les quadriréacteurs ? Pourquoi cherchent-elles à s’en débarrasser ?


C’est la question de l’épisode d’aujourd’hui !

Origines

Avant de comprendre pourquoi les compagnies aériennes cherchent aujourd’hui à se séparer de leurs quadrimoteurs, il nous faut d’abord comprendre pourquoi elles ont cherché à les acquérir par le passé. 

On remonte donc aux années 1950s, lorsque Boeing présente son tout nouveau 707 au grand public : c’est l’une des plus grandes révolutions de l’histoire de l’aviation. Grâce à ses 4 moteurs à réaction le 707 est capable de voler plus vite, plus haut et plus loin que la précédente génération d’avion équipée de moteurs à pistons. Mais pourquoi 4 moteurs ? On peut en fait trouver 3 raisons quant au choix ce nombre particulier :


– La première raison, et la plus évidente c’est le principe redondance. Dans les années 50s la technologie du moteur à réaction était toute récente, et malgré une meilleure fiabilité que les moteurs à piston, il n’était pas rare qu’un réacteur tombe en panne en plein vol. Ainsi en ayant 4 moteurs, on était sûr de faire face à ce problème sans menacer la sécurité des vols.
– La deuxième raison, c’est que la technologie n’était pas encore mature. Sans rentrer dans les détails les moteurs à réactions de l’époque étaient près de 5 fois moins puissants et efficaces que les moteurs d’aujourd’hui. Ainsi pour déplacer une masse équivalente, il fallait, à cette époque, plus de moteurs qu’il n’en faudrait aujourd’hui.
– La troisième raison, et c’est la moins évidente concerne le droit aérien. Grâce à des performances améliorées par rapport aux avions d’ancienne génération, le 707 était l’un des tous premiers avions commerciaux à pouvoir traverser l’Atlantique sans escale. Seulement voilà, la réglementation exige qu’un avion au-dessus de l’océan doit en permanence se trouver à moins de 90 minutes de vol d’un aéroport de déroutement. Il était néanmoins possible de déroger à cette règle si cet avion était équipé de plus de deux moteurs. Ainsi avoir 4 moteurs permettait de s’affranchir de cette règle et d’établir des routes plus directes et plus rapides entre les deux côtés de l’Atlantique.


Du coup tous les avions développés par la suite pour des routes transatlantiques et transpacifiques étaient équipés d’au moins 3 moteurs. Et cela a duré jusqu’à la fin des années 70s qui ont marqué un tournant pour l’aviation commerciale.

Etude de la FAA de 1985, répertoriant toutes les pannes moteurs non maîtrisées arrivées aux USA entre 1962 et 1985.
Le Boeing 707 - Photo par Edouard Marmet

ETOPS

Effectivement, les années 70s sont d’abord marquées par le premier choc pétrolier qui a amené les compagnies aériennes à surveiller de plus près leurs dépenses liées au carburant. Mais surtout à la fin des années des 70s, grâces aux nombreuses avancées technologiques, des réacteurs plus puissants, plus économes et surtout plus fiables firent leur apparition. On peut ici citer notamment le Pratt & Whitney JT9D ou encore le General Electrics CF6.

Airbus et Boeing prirent alors l’initiative de construire des biréacteurs capables de traverser l’Atlantique sans escale comme l’Airbus A300 et les Boeing 757 et 767. Dans ce contexte les organismes de réglementation aérienne, les constructeurs aéronautiques, les motoristes et les compagnies aériennes se réunirent au début des années 80s, afin de discuter des règles encadrant les vols transocéaniques des biréacteurs. Le concept d’Extended-range Twin-engine Operational Performance Standards ou ETOPS vit le jour. L’ETOPS permettrait après évaluation par les organismes de réglementation aérienne de permettre à certains biréacteurs de certaines compagnies de voler au-dessus de l’océan jusqu’à plus de 120 minutes d’un aéroport de déroutement. 

Le premier vol ETOPS eu lieu le 1er Février 1985, opéré par un 767 de Trans World Airlines entre les villes de Boston et Paris. Ce vol et tous les vols ETOPS qui ont suivis ont permis de démontrer la fiabilité des biréacteurs, et les économies en carburant réalisées par rapport à des tri ou quadriréacteurs. Après 3 premières années de vols ETOPS sans problèmes majeurs, il est même devenu possible pour les bimoteurs, d’obtenir la certification ETOPS-180 qui leur permet de voler jusqu’à 180 minutes d’un aéroport de déroutement. Ces derniers pouvaient alors emprunter les mêmes routes transocéaniques qui étaient, jusque-là réservées aux quadriréacteurs. 

Comparaison des distances franchissables et capacités des 747-300 et 767-300
Comparaison des distances franchissables et capacités des 747-400ER et 777-300ER

Ainsi face à des avions consommant deux fois moins de carburant et capables parfois de transporter le même nombre de passager, l’ETOPS a clairement été le début de la fin pour les avions équipés de plus de 2 moteurs. Si certaines compagnies aériennes ont néanmoins continué à les utiliser c’était parce que les biréacteurs n’étaient pas encore capables de transporter beaucoup de passagers sur de très longues distances (supérieures à 10,000 kms).

Les années 90s ont vus la mise en service de nouveaux gros porteurs équipés de 2 réacteurs comme le Boeing 777 ou l’Airbus A330 qui ont mis fin à l’ère des triréacteurs et ont porté un nouveau coup de massue aux quadriréacteurs. On disposait désormais de bimoteurs dont la capacité approchait de très près celles des quadrimoteurs mais capables de parcourir des distances équivalentes voire même parfois plus grandes. 

Cependant ce qui a réellement changé la donne c’était la nécessité croissante pour les compagnies aériennes de constamment assurer leur rentabilité.

Un A300B4, l'un des premiers avions conforme ETOPS - Photo Laurent Errera

Un marché volatile...

Le marché du transport aérien a toujours été volatile étant sujet aux tendances économiques, et tenir une compagnie aérienne est devenu de plus en plus compliqué avec le temps. Comme l’a dit Richard Branson : « Si vous voulez être millionnaire trouvez un milliard de dollars et lancez une nouvelle compagnie aérienne ».

On voit sur ce graphique du site Centre For Aviation que les RPKs évoluent clairement de façon parallèle au PIB mondial c’est-à-dire en suivant les périodes de récessions et d’inflations. Les deux chocs pétroliers, la récession des années 1990, les attentats du 11 septembre 2001, le crash boursier de 2008, et maintenant la pandémie de COVID-19, tous les 10 ans un nouvel événement impacte négativement l’industrie aéronautique. C’est une évidence, pour durer dans l’aérien il faut être rentable. Autrement dit les compagnies aériennes doivent s’assurer d’avoir des avions toujours pleins. Or c’est là une mission de plus en plus difficile pour les Boeing 747 et autre Airbus A380. En effet, la demande pour les long-courriers étant saisonnière : élevée lors des vacances d’été et d’hiver mais faible le reste du temps ces avions permettent de satisfaire la demande pendant ces périodes spécifiques mais volent à moitié vide le reste de l’année.
Enfin, il semblerait que ces gros-porteurs ne soient plus adaptés aux spécificités du transport aérien, qui a considérablement changé ces dernières années.

...qui a grandement évolué depuis 1970

Juste avant de passer à la dernière partie de cet épisode j’aimerai faire un point rapide sur le Hub & Spoke et le Point-to-point.
Le Hub & Spoke c’est un modèle de transport dans lequel on construit plusieurs destinations autour d’un aéroport central appelé hub. Ce modèle permet notamment de garder une simplicité dans la construction de son réseau.
Le point-to-point quant à lui consiste à rallier directement deux aéroports sans passer par l’intermédiaire d’un hub. Ce modèle demande une construction plus complexe (les liaisons ne sont pas quotidiennes) mais quand il est bien utilisé il permet de faire des économies en carburant.

Le modèle du Hub & Spoke
Le modèle du point-to-point

Il y a encore 10 ans en arrière, les compagnies aériennes traditionnelles (low-costs non comprises) utilisaient surtout le modèle du Hub & Spoke. Cependant ces 10 derniers années le modèle du point-to-point, a considérablement augmenté étant plus respectueux d’un point de vue environnemental. Par exemple le Boeing 787 a ouvert pas moins de 235 routes en point-to-point depuis sa mise en service en 2011. Etant donné qu’il y a plus de routes dans ce modèle, la demande sur chaque segment est plus faible qu’en utlisant le Hub & Spoke. Les gros quadriréacteurs disposent du coup de bien plus de sièges que nécessaire. Par ailleurs les aéroports en point-to-point sont généralement plus petits qu’en hub & spoke et ne sont donc pas adaptés pour recevoir ces Super Jumbo des airs.

Conclusion

On comprend désormais pourquoi les compagnies aériennes cherchent à se séparer des quadriréacteurs. Les procédures ETOPS, associées à un marché volatile, qui a grandement évolué depuis les années 1970s ont conduit ces géants des airs à ne plus être adaptés aux besoins modernes du marché. La crise du COVID-19 qui a pris tout le monde court et qui sera probablement l’un des événements majeurs du XIème siècle n’a fait qu’accélérer le processus de mise à la retraite de ce type d’appareil.

Avis personnel

Je pense qu’il y a quand même encore beaucoup de chance de voir des 747 et des A380 voler dans le futur. Concernant le 747 même s’il n’est plus adapté au transport de passager il est parfait pour le transport de fret grâce à un volume cabine supérieur aux appareils bimoteurs. Au sujet de l’A380, les compagnies du Moyen-Orient continueront à l’exploiter pour les 15 prochaines années au moins. D’ici là, la population mondiale augmentera grandement et le marché asiatique sera le plus gros en termes de croissance et de volume. Je pense que le géant d’Airbus pourrait avoir sa place sur ce marché au sein d’une compagnie suivant un modèle low-cost qui vise à toujours remplir ses avions. Mais là il nous faudrait une émission entière pour en parler. L’avenir nous le dira…

Sources

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut